mercredi 30 juin 2010

Chartier (encore suite)


Episode 4

Je me suis alors laissé emporter par le sommeil. Tant d’efforts me happent toujours inexorablement vers les songes où tout, en général, se passe à mon goût. Les femmes sont belles et on y mange très bien.

A mon réveil, j’ai aperçu la fille, installée sur son sofa, devant deux tasses de café fumant et odorant. Prolongation du rêve. Je me suis dirigé vers l’amas de bonnes choses sus cité. Matin, soleil, coussins et peau douce en prime.

Après le café, l’envie m’est revenue de la toucher encore. L’été, dehors, les bruits de la rue, la lumière filtrée par les rideaux de taffetas noir et le filet de jazz de rayon fromage diffusé par une radio ailleurs, dont les ondes passaient de fenêtre en fenêtre dans tout le quartier, donnaient à l’instant des airs de vacances bon marché dont j’étais alors tout à fait en mesure d’apprécier la fraîcheur.

La fille, en T-shirt à jambes nues, m’attirait plus que jamais. Cette vision d’elle affairée au-delà de moi titillait un je ne sais quoi en mon corps entier. Comme une envie soudaine annoncée par la peau des muscles qui se frotterait sans mes ordres à la paroi intérieure de la peau du reste de mon être. Genre frisson.

La bobine de mon film interne a fondu au noir quand elle s’est engouffrée dans la salle d’eau sans un mot. Bruit de verrou et tout.

La voir sortir en habit du dehors a stoppé net tout résidu de désir. Terminus, tout le monde descend. Et on dit bien « tout le monde »…

Là j’ai bien compris que plus vite je me douchais/m’habillais/sortais d’ici, mieux c’était. Ah ! le pouvoir du café matinal sur le cortex. Fier de mes capacités cérébrales pourtant à peine célébrées, je me suis précipité derrière le rideau de douche et me suis hâté de déguerpir des lieux.

La rue tout entière m’est apparue vide de son, pleine d’une lumière crue et trop. Vertige, en somme. J’ai eu besoin à tout prix de pénétrer dans le premier café planté là comme pour moi seul. Jamais je n’avais noté l’existence de cet estaminet mitoyen de l’immeuble où vit la fille. Vêtu comme la veille, je me suis présenté au comptoir pour la première fois depuis six ans que je longe ce trottoir.

Le café y a un arôme de poison que l’on aurait coloré par perfidie maladive voire pire. Soit. J’en ai bu cinq, ce matin-là. Par défi et désœuvrement. Dans le même mouvement, j’ai tenté de joindre la fille sur son téléphone. Dix fois. Vous êtes bien sur la boîte vocale de La Fille. Je ne peux pas vous répondre. Laissez un message après le pléonasme. Le confort du je-ne-me-pose-pas-de-questions-et-encore-moins-y-réponds doit énormément au constant. C’est important. La fille sur messagerie m’a sorti d’une léthargie genre style de vie, dans un moment que, moi, je n’avais pas choisi.

A l’idée peu ragoutante d’ingurgiter un sixième café/mixture, je me suis ravisé et j’ai rejoint la bouche de métro voisine. L’arrivée dans mon chez moi a effacé l’avant de ce début de journée improbable et inhabituel. Repris par le courant de ma vie. Invitations dîners sorties. MA VIE.


A suivre...

mercredi 23 juin 2010

Chartier (re-suite)


Episode 3

Ces deux semaines au Maroc m’ont permis de gagner suffisamment d’argent pour ne plus travailler pendant des mois. Elles ont aussi aiguisé une propension que j’ai naturellement à ne pas prendre, ni donner de nouvelles de et à qui que ce soit de mon entourage. Je remercie de tout mon cœur mon opérateur téléphonique qui est un fieffé voleur. Un appel reçu à l’étranger me coûte de l’argent. Un appel donné m’en coûte le triple. J’ai pris soin de prévenir tout mon petit monde qu’il n’entendrait pas parler de moi le temps de mon séjour. Mes amis ont paru n’en avoir que faire. La fille a déclaré faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Ou quelque chose de ce goût.

Mon séjour à Fès a été rythmé par le travail que je devais y accomplir. Le promoteur d’un festival artistico-culturo-touristique m’avait engagé quelques mois auparavant pour mener à bien les relations entre les organisateurs de l’événement/produit et la presse/support de publicité gratuite. Mon rôle, sur place, consistait à accueillir et talonner les journalistes, m’assurer qu’ils écriraient des pages entières sur le festival sans omettre de citer les sponsors. Un jeu d’enfant.

Les deux semaines se sont déroulées sans encombre : mes matinées fréquentaient la piscine de l’hôtel, mes après-midi et mes soirées assistaient aux concerts arrosés du champagne français servi aux reporters venus d’Europe et d’Amérique. Mes déjeuners et mes dîners accompagnaient les plus jolies journalistes du lot, que j’élisais moi-même selon des critères absolument physiques.

Deux chouettes semaines se sont ainsi écoulées au soleil. Deux semaines pendant lesquelles j’avais éloigné Paris.

Mon retour maison a été couronné d’une décision prise en moins d’une minute en l’air : ne pas rallumer le téléphone mobile avant quelques jours. Ainsi Paris serait tenu à distance encore. Le temps de… Sommeil, cinéma, théâtre et sommeil.

J’ai remis sous tension la bestiole en une fin de matinée au cours de laquelle j’ai dû apprendre en vitesse à hiérarchiser l’importance des messages vocaux et écrits. La première leçon a consisté à maîtriser l’utilisation de la fonction « tout effacer ». J’ai eu tout bon.

J’aime avoir privé Paris de moi. J’ai, à mon retour, le sentiment de commencer à zéro un cycle neuf. Posture à même de créer du bizarre pour d’autres qui seraient, eux, dans un autre niveau de cycle à mon encontre. J’ai reconnu cette fâcheuse impression de friture sur ma ligne de conduite lorsque la fille m’a téléphoné, un matin. Tôt. Du reproche plein les poumons et de l’insulte à venir, qui vient, qui est là. Du genre pas tellement satisfaite, en somme. Elle a quasi crié que plein de choses vilaines sont moi. Que je découvrais au long du coup de fil à rallonge. Un air d’accordéon en sus et j’étais au sol. Je déteste copieusement l’instrument qui plisse.

En l’absence de musique qui pique, je me suis repris en main et ai pu répondre des phrases calmes comme « nous ne sommes pas mariés ». Assez magique, aussi, cette tournure. Toujours elle est rangée pas loin. Parfois, même, elle sort seule, sans laisse. Je ramasse après elle.

J’ai bien entendu la larme qui a suivi les premières autres, avant qu’elle ne me raccroche mal. Mais la mono-conversation d’une heure qui a précédé la fin abrupte m’ayant coûté plus de temps que je n’aurais accepté si j’avais été le seul en ligne, j’ai décidé de continuer le cours de ma journée entamée sans rappeler la fille. Des morceaux en chantier ont occupé mes doigts le reste du jour et la majeure partie de la nuit à suivre. A quoi sert la musique sinon à occuper mes doigts ? Ma tête n’a pas été en reste. Pas une pensée n’est passée près. La musique a cela de beau qu’elle ne permet pas aux idées gênantes de faire mieux que de longer mes contours, de loin.

Au matin, je me suis fendu d’un « bonjour/pardon/pensée » écrit sur le téléphone, en prévision d’un « je me réconcilie » qui viendrait en réponse. La manœuvre est huilée. Petite musique de boîte, horlogerie fine. Comme mécanique. L’appel de la fille dans la minute. Rendez-vous pris et sommeil.

Je me suis rendu à son domicile le lendemain soir. Elle avait installé un sourire sous les tâches de rousseurs et mis une robe, en signe de tout va bien, ai-je pensé. Sur la table, avait été disposé un dîner en signe de tu as sans doute faim. J’ai surtout honoré le vin posé là en signe du reste.

L‘après a pris place sur un mode des plus sensuels. Nos retrouvailles, à mon sens avaient fière allure. Chevauchée fanatique.

L’encore après, néanmoins, a pris la forme d’un pleur étouffé à ma droite. Les yeux mouillés, la fille me dévisageait, étendue.

A suivre...

jeudi 17 juin 2010

Chartier (suite)


Episode 2

« Nous sommes faits l’un pour l’autre, n’est-ce pas ? », a-t-elle demandé en poursuivant sa marche. Dans un premier temps que l’on appelle « dans la foulée », j’ai gardé le silence, aussi pesant soit-il. J’ai adopté cette façon depuis que je sais qu’il vaut mieux du pesant vide que les méfaits d’une mauvaise réponse à la devinette. Une mauvaise pioche et l’on a vite fait de passer son tour. Or, la nuit qui allait suivre étant la dernière avec cette fille avant un bout de temps, pour cause de travail ailleurs, j’ai préféré ne pas froisser nos rapports du futur proche.

Bien entendu, après trois émissions de la question, j’ai dû rapidement composer une phrase audible, acceptable et concluante. « Je ne sais pas ce que cela veut dire », ai-je tenté. Le jury, alors, a lancé un « peut mieux faire » sous la forme agacée d’un « tu te fiches de moi ! ». J’avais néanmoins gagné du terrain : nous avions marché jusqu’à la station Bonne Nouvelle. Station qui n’annonçait rien de très bon puisque la fille a immédiatement embrayé sur un « tu n’es qu’un gros nul et méchant ». J’avais gardé en tête l’idée de cette dernière nuit ensemble avant longtemps. Lui déclarer que « oui » m’aurait valu un mal à l’aise avec moi-même, rapport à cette peur du pour toujours. Il me reste un fond d’honnêteté à mon propre égard dû à une vieille conscience que, certainement, mes ancêtres ont injecté dans ce que je suis. Fallait que je trouve une astuce. Du genre pas trop, mais jolie quand même. Une réponse à double-faces. Prise mâle et femelle tout en un.

« J’entends ce que tu me dis - je trouve cela très mignon - Gueule d’Amour ». Bingo ! Elle a souri en grand, a pris mon bras, s’est comme blottie, et nous avons ainsi poursuivi notre chemin à contre-courant des nombreux autres du boulevard. Je savais d’ors et déjà que ma trouvaille ferait long feu, mais comptais sur suffisamment de répit pour la quitter joyeuse le lendemain matin. On ajusterait ensuite.

La nuit a suivi comme j’aime. Je dois avouer ici que les mots sont pratiques. Celui qui maîtrise est le Roi du Monde. Si tant est que le monde ne tourne autour de la chair. Certains moments m’ont emmenés si loin que j’ignorais en bloc où je me trouvais. Dans ses bras pourtant. A la fois comme en-delà de nous. Une reprise de Wild Thing en tête d’un coup. Trombone et trompette. Guitare chaude et voix suave. J’étais tel qu’embarqué en amour. Un autre.

Matin. Départ. Un job à faire à Fès. Un « je t’appelle » et le dehors, l’aéroport, la suite de ma vie.

A suivre...

jeudi 10 juin 2010

Chartier


Episode 1

Elle n’a pas eu la réaction prévue par le manuel. Alors que le Bouillon Chartier était bondé d’un brouhaha habituel et rassurant, elle a murmuré cette chose et a sangloté en silence. Elle a murmuré pendant que je n’y étais pas. L’ambiance sonore m’avait envolé loin de nous, de là. Ailleurs. A mon retour en face, elle tentait de disperser les larmes autour de ses tâches de rousseurs, l’air de rien, mais les yeux dans le gobelet. J’avais choisi un vin léger cette fois.

J’ai eu l’idée de tenter un « pourquoi tu pleures ? » mais je me suis méfié de la suite. Pas envie d’avouer le black-out. Pas envie d’essuyer les salves de la critique qui, forcément, se seraient enchaînées les unes aux autres, sans que je puisse en placer une. Oh ! Pas que je manque d’arguments sur quelque sujet qui ait valu ces larmes et dont je devine à peu près la teneur, mais le vin était bon et j’avais plutôt décidé de profiter du lieu et du moment. A n’en pas douter, ces coulures cesseraient et nous continuerions de déjeuner paisiblement, les yeux dans les yeux et le sourire aux lèvres. Un à peu près m’aurait même convenu.

Cela a pris un peu plus de temps que je ne le souhaitais, mais alors que nous terminions le sucré, elle s’est remise à parler. A flux normal. J’ai vérifié : plus d’eau sur les joues. Je m’en suis bien sorti. Nul besoin de raconter mon errance et, surtout, d’aborder le sujet qui a valu ces gouttes dans ses yeux. L’idée tournait vraisemblablement autour de cette impression qu’elle a et qu’elle appelle amour. Je n’ai jamais rien à déclarer à propos de l’amour. Je n’en pense rien. Je n’y comprends rien. Ou plutôt, je n’y entends rien dès qu’une femme s’en mêle. J’ai bien un avis, mais en rien semblable à celui de cette fille. Que j’aime. Je crois. Je m’en fiche.

Elle, je l’aime bien. C’est une jolie personne, je trouve. Bien faite, un charmant visage, plutôt intelligente. C’est du moins ce que je crois. Elle lit sans arrêt. Je tiens ce fait pour une preuve d’érudition. J’aime assez quand on passe rapidement à autre chose, côté réflexion. Elle lit, elle est savante. Quoi d’autre ensuite ? Elle est mince, elle est jolie. Und so weiter. Tout cela pour dire que j’ai tout un tas de raisons de la fréquenter à la ville comme à la bible. Et je décrète qu’après six années de cela, je l’aime. Pourquoi décrire et ressasser ? A quoi bon discourir lorsqu’agir se déroule entre nos mains, nos bouches, nos peaux ? Si je rassemble les idées, j’aime cette fille. Je reconnais la minceur du cahier des charges. Jusque là, je croyais cela être un tant mieux. Pas de questions. Des dîners, du sensuel et youpi.

Je ne sais plus avec précision le moment où l’intellectuelle a pris le pas sur la belle. Tout roulait super. Nous dînions, nous causions de ce que nous avions fait l’un et l’autre entre-temps, nous rentrions and so on. Puis un jour elle a dit « je suis amoureuse de toi ». J’ai bien aimé. N’ai rien dit. Ai souri. L’ai serrée. Même scénario à plusieurs reprises. Je n’étais pas tellement étonné par son amour. J’avais récolté des indices. Seulement, je ne m’attendais pas à ce qu’elle exige des mots de moi. Les mêmes.

Je suis de ceux que l’on appelle verbalement-sous-doués. Il ne s’agit en aucun cas de lacune cognitive, mais de passage sous silence systématique d’un point comme épineux. Je suis un petit diseux. Pas au sens jeu, mais au sens vie. J’accepte de parler longtemps et beaucoup d’un spectacle que j’ai aimé. Mais d’une femme… Cela me met mal à l’aise. J’ai dans l’idée que dire son amour pourrait y nuire. J’ai aussi le sentiment que c’est comme promettre à tout jamais et pour de vrai. Une influence sur la suite de la vie. Un clap comme arrêt sur image. Plus rien ne va ! Je ne souhaite pas moi-même inspirer mon histoire.

Après déjeuner, nous marchions le long du boulevard et j’appréciais le soleil d’après la pluie quand elle a fermé son regard vers moi. Je connais par cœur ce signal. Il marque le coup d’envoi de tout un tas de phrases qui vont m’encombrer.

A suivre...

mardi 8 juin 2010

Papier


Elle est blanche. Mais blanche ! Une espèce de ce blanc qui tache par trop de rien dessus. Voyez ? Voilà ! Rien à voir. Rien en vue non plus sans ce noir qui voile et chasse le néant du blanc. Reste un vide à trous. C’en est laid. Comme moche quand moucheté en vrac. Ambiance pinceau qui gratte à la surface. Pas d’eau ni bleu. Un vire au gris crasse. Ca fout le vertige, ce blanc-plus-tellement, mais pour un rien. Ne rien dire pour ne rien dire, c’est déjà ne rien dire. Mais en blanc, c’est half black. Un grey crade. A la craie, ça s’estomperait, mais ici c’est marqué au rouge. Comme sur peau. A jamais. As scar. Le tout, c’est d’y faire face. Coûte que coûte. Caresser l’idée d’un gris qui fonce. Near black. S’expatrier serait une idée. Apprendre un autre verbe et en faire des palettes entières. Red et valpolicello tout collé sur le papier. Le tour serait joué d‘avance. Soignez-moi ces bulles à hauteur d’homme. Au crayon gras. Au mieux. Une déchirure au sec et plus de toile ni voile. Un pli dans le lai. On remballe. Que ça danse un peu pour voir ! Un piétinement, tout au plus. Un sur place au lieu de rien. Une cadence à part. Pour soi et nous tous. Une étoffe d’un reste de bal décrié puis barré. Un minuscule rien half black et grey sans plus tellement de blanc, mais pour rien.

vendredi 4 juin 2010

Atelier


« Je dois filer, je suis en retard », avait-elle dit en s’éloignant très vite de cette terrasse de café où tous nous étions réunis pour rien. « En retard vers où ?», avais-je alors demandé à l’assemblée qui, elle, semblait comme qui dirait dans la confidence. « A son atelier », avait-elle répondu, l’assemblée. « Ah parce qu’elle bricole, maintenant ? », avais-je alors encore demandé. « Elle écrit », avait rétorqué l’assemblée ou une partie d’elle, je ne sais plus. « Elle établit des suites de mots en phrases en atelier », avais-je conclu, pas aussi hâtivement qu’il n’y paraît. Parce que les charnières entre chaque mot, il faut bien les construire. Et à la bonne taille, encore. Et les gonds ne doivent-ils pas contenir les phrases, sans qu’elles ne dépassent et sans jour autour ? Du jour autour des lettres, cela donne quoi ? Eh bien cela laisse passer la lumière. Et la lumière aide à mieux visualiser ce dont on cause en prose. Mais encore faut-il que les rais ne visent là où ça sert à dire/sentir/pâlir. Pour cela, il faut les outils, les clés, les matériaux, les idéaux. Un stylo comme un bon marteau qui tape à point nommé et enfonce un peu plus le clou du spectacle. Ligne après ligne. Et page. Duchesse en travaux, comme dans la chanson. « Et les copeaux ? Elle en fait quoi des copeaux ? » avais-je encore plus demandé. « Elle les remise et les replace en couleur çà et là. Ambiance dénouement avec fleurs et collerettes ». Elle en savait, l’assemblée, que j’ignorais moi-même. J’aurais bien vu paillettes mais l’étape est plus lointaine ou ailleurs. L’atelier du doreur ? Plus loin en marchant vite, à main droite dès doublés les chœurs à pic. Le brillant se mérite. Me languirais bien, si je pouvais. Mais ce temps qui presse !