mercredi 23 juin 2010

Chartier (re-suite)


Episode 3

Ces deux semaines au Maroc m’ont permis de gagner suffisamment d’argent pour ne plus travailler pendant des mois. Elles ont aussi aiguisé une propension que j’ai naturellement à ne pas prendre, ni donner de nouvelles de et à qui que ce soit de mon entourage. Je remercie de tout mon cœur mon opérateur téléphonique qui est un fieffé voleur. Un appel reçu à l’étranger me coûte de l’argent. Un appel donné m’en coûte le triple. J’ai pris soin de prévenir tout mon petit monde qu’il n’entendrait pas parler de moi le temps de mon séjour. Mes amis ont paru n’en avoir que faire. La fille a déclaré faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Ou quelque chose de ce goût.

Mon séjour à Fès a été rythmé par le travail que je devais y accomplir. Le promoteur d’un festival artistico-culturo-touristique m’avait engagé quelques mois auparavant pour mener à bien les relations entre les organisateurs de l’événement/produit et la presse/support de publicité gratuite. Mon rôle, sur place, consistait à accueillir et talonner les journalistes, m’assurer qu’ils écriraient des pages entières sur le festival sans omettre de citer les sponsors. Un jeu d’enfant.

Les deux semaines se sont déroulées sans encombre : mes matinées fréquentaient la piscine de l’hôtel, mes après-midi et mes soirées assistaient aux concerts arrosés du champagne français servi aux reporters venus d’Europe et d’Amérique. Mes déjeuners et mes dîners accompagnaient les plus jolies journalistes du lot, que j’élisais moi-même selon des critères absolument physiques.

Deux chouettes semaines se sont ainsi écoulées au soleil. Deux semaines pendant lesquelles j’avais éloigné Paris.

Mon retour maison a été couronné d’une décision prise en moins d’une minute en l’air : ne pas rallumer le téléphone mobile avant quelques jours. Ainsi Paris serait tenu à distance encore. Le temps de… Sommeil, cinéma, théâtre et sommeil.

J’ai remis sous tension la bestiole en une fin de matinée au cours de laquelle j’ai dû apprendre en vitesse à hiérarchiser l’importance des messages vocaux et écrits. La première leçon a consisté à maîtriser l’utilisation de la fonction « tout effacer ». J’ai eu tout bon.

J’aime avoir privé Paris de moi. J’ai, à mon retour, le sentiment de commencer à zéro un cycle neuf. Posture à même de créer du bizarre pour d’autres qui seraient, eux, dans un autre niveau de cycle à mon encontre. J’ai reconnu cette fâcheuse impression de friture sur ma ligne de conduite lorsque la fille m’a téléphoné, un matin. Tôt. Du reproche plein les poumons et de l’insulte à venir, qui vient, qui est là. Du genre pas tellement satisfaite, en somme. Elle a quasi crié que plein de choses vilaines sont moi. Que je découvrais au long du coup de fil à rallonge. Un air d’accordéon en sus et j’étais au sol. Je déteste copieusement l’instrument qui plisse.

En l’absence de musique qui pique, je me suis repris en main et ai pu répondre des phrases calmes comme « nous ne sommes pas mariés ». Assez magique, aussi, cette tournure. Toujours elle est rangée pas loin. Parfois, même, elle sort seule, sans laisse. Je ramasse après elle.

J’ai bien entendu la larme qui a suivi les premières autres, avant qu’elle ne me raccroche mal. Mais la mono-conversation d’une heure qui a précédé la fin abrupte m’ayant coûté plus de temps que je n’aurais accepté si j’avais été le seul en ligne, j’ai décidé de continuer le cours de ma journée entamée sans rappeler la fille. Des morceaux en chantier ont occupé mes doigts le reste du jour et la majeure partie de la nuit à suivre. A quoi sert la musique sinon à occuper mes doigts ? Ma tête n’a pas été en reste. Pas une pensée n’est passée près. La musique a cela de beau qu’elle ne permet pas aux idées gênantes de faire mieux que de longer mes contours, de loin.

Au matin, je me suis fendu d’un « bonjour/pardon/pensée » écrit sur le téléphone, en prévision d’un « je me réconcilie » qui viendrait en réponse. La manœuvre est huilée. Petite musique de boîte, horlogerie fine. Comme mécanique. L’appel de la fille dans la minute. Rendez-vous pris et sommeil.

Je me suis rendu à son domicile le lendemain soir. Elle avait installé un sourire sous les tâches de rousseurs et mis une robe, en signe de tout va bien, ai-je pensé. Sur la table, avait été disposé un dîner en signe de tu as sans doute faim. J’ai surtout honoré le vin posé là en signe du reste.

L‘après a pris place sur un mode des plus sensuels. Nos retrouvailles, à mon sens avaient fière allure. Chevauchée fanatique.

L’encore après, néanmoins, a pris la forme d’un pleur étouffé à ma droite. Les yeux mouillés, la fille me dévisageait, étendue.

A suivre...

2 commentaires:

  1. C'est le chapitre que je préfère pour le moment, j'aime bien le rythme que tu lui imprimes et ta façon d'utiliser les mots, le summum est là:

    "Du reproche plein les poumons et de l’insulte à venir, qui vient, qui est là. Du genre pas tellement satisfaite, en somme. Elle a quasi crié que plein de choses vilaines sont moi. Que je découvrais au long du coup de fil à rallonge. Un air d’accordéon en sus et j’étais au sol. Je déteste copieusement l’instrument qui plisse."

    Ouais, j'aime bien ça

    RépondreSupprimer
  2. Ravie que ça te plaise ! Hâte de savoir ce que tu penses de la suite.

    RépondreSupprimer