jeudi 29 juillet 2010

Chartier (Huitième suite)


Episode 8

Il avait choisi un vin léger mais j’en avais bu trop. L’alcool et l’atmosphère mélancolique du Bouillon Chartier m’ont donné des envies de tendre et romantique. Pour lui. Avec lui. De lui. J’ai voulu nous parler d’amour, qu’il participe à un ébat de mots sentimentaux. Là maintenant. J’ai prononcé « je t’aime » dans tout ce bruit. J’ai attendu. Puis j’ai pleuré. J’ai pleuré sur son silence. Sur mon néant d’un coup.

J’ai ravalé mes larmes par les yeux, ai continué de pleurer vers l’intérieur, tandis que lui gardait ce silence au milieu des bruits du reste autour de nous.

L’opération a pris du temps, cette fois. Le ravaler de pleurs n’est pas chose aisée en public. La foule autour rend plus fort le piteux. J’en suis enfin venue à bout quand il a été l’heure du dessert. Par magie j’ai repris la conversation au point où nous ne l’avions pas encore menée. J’ai alors abordé l’avenir. « Demandons l’addition et partons d’ici. »

A quoi bon attendre plus longtemps une réponse en forme du même « je t’aime » que le mien. A quoi bon attendre plus longtemps un sourire des yeux dans un silence qui deviendrait joli. A quoi bon attendre plus longtemps une main qui se poserait sur la mienne en douceur. A quoi bon attendre plus longtemps une caresse sur la joue.

Son silence est le signe que rien n’a changé. Que rien ne changera. Que rien de plus n’est né de nos années de rendez-vous. « Je t’aime bien » et « je t’aime beaucoup » ne laisseront pas la place à un tout court que j’espère pourtant chaque fois nouvelle entre nous.

Love Me Love Me Love Me Say You Do.

Comme une envie de rentrer chez moi et pleurer cachée.

Nous sommes sortis dans le soleil d’après pluie et avons rejoint le boulevard. Il n’a pas pris ma main dans la sienne et a marché devant. J’ai foncé vers lui pour un tas de choses à lui dire et lui faire dire. J’ai entré mes yeux dans les siens.

A suivre...

jeudi 22 juillet 2010

Chartier (sept ensuite)


Episode 7

L’infirmière était jolie et Jean-Marc en colère. Deux mois sans pouvoir me joindre et le voilà tout chose ! L’entêté a forcé ma porte à l’aide d’un ami serrurier. Ambulance.

Nous étions le lendemain du jour et j’étais sorti d’affaire. M’en restait une à régler. La fille. Partie.

Le sauveteur Jean-Marc m’a traîné de bonnes tables en belles expositions, de cinémas en théâtres… Etre totalement pris en charge a été une aubaine. La privation de moments de solitude annule les pensées encombrantes. Mon ami, la bouffe et l’art ont rempli mes jours et mon esprit rabougri.

Petit à petit s’est amenuisé en moi l’idée-même de la fille. De moins en moins précisément s’est dessiné en moi son visage. Ses traits ont fui. Disparu presque. Sa voix s‘est finalement tue. Jean-Marc avait effacé LE numéro de téléphone. Son geste m’a d’abord jeté dans une rage que je suis parvenu à traverser sans trop de casse. Un coup de poing bien senti en réponse aux miens. Un bleu. Rien de grave.

Je me suis peu à peu fait à l’idée que mon ami, la bouffe et l’art seraient là toujours. Je me suis peu à peu fait à l’idée que ce n’était déjà pas si mal. Il y aurait d’autres filles. Cette dernière réplique est de Jean-Marc…

Je n’ai pas pleuré. Je me suis abreuvé de spectacles à la mode et pas, de films frais sortis, de dîners entourés. Du monde partout. Du monde autour. Jamais longtemps seul. Jamais assez pour penser ni pleurer.

La vie est pratique. Le temps qui la fait s’arrange de nos chagrins et les range. Le mien s’est éloigné aussi. La vie et le travail que j’ai repris en grand m’ont permis de reprendre un allant qui m’allait bien.

J’ai découvert la vie et Paris. J’ai récupéré du plaisir et mon quartier. Les rues, le marché, les cafés ensoleillés… J’ai arpenté mes journées et dormi mes nuits d’un trait. Mon travail a repris en mains ce que je suis redevenu. Tout a repris sa place. Etat de grâce.

Les rendez-vous, les coups de fil, les déjeuners d’affaire, les conférences de presses… La roue tourne et ma vie avec. Mon quotidien m’a souri et moi aussi. Petit à petit.

Quelques jolies pigistes m’ont souri aussi, de nuit.

J’étais ce jour-là dans mon appartement, devant un communiqué en chantier sur écran. Sonnerie de téléphone. Numéro inconnu. Allô ?

« Bonjour… C’est La Fille. »

A suivre...

jeudi 15 juillet 2010

Chartier (sixième suite)


Episode 6

Un deuxième mois sous les mêmes auspices a eu raison de mon élan. Vie nocturne et rendez-vous diurnes se sont accumulés en tas dans mon agenda. J’ai croulé sous. Régime alimentaire liquide, ou solide quand plus l’heure. Des muscles à la gomme et le moral bâtard.

S’est imposée, ensuite, la réclusion at home. Doubles rideaux tirés sur le soleil intrusif. Ecrans online et on air. J’ai ainsi passé des jours-et-nuits devant l’un et l’autre. Séries télévisées sous-titrées, Internet… J’ai passé des jours pour atrophier ce cerveau qui n’était plus mon ami. « Ne pas penser ! », j’y disais. J’ai eu rapidement raison de lui. La culture américaine a cela de rassurant qu’elle n’échafaude que très rarement de quoi glisser vers la rayure de cortex. Le manque d’un sommeil à heures fixes a achevé de niveler l’organe vers les bas-fonds de ce à quoi pouvait ressembler ma vie. Le corps, parfois, a marqué quelques soubresauts qu’il est aisé de faire taire. D’une seule main.

J’ai traîné ma vacuité un nouveau mois entier. Livraisons de nourritures faciles et boissons avec et sans. Ecoute des messages téléphoniques sans rappeler qui que ce soit. Lavage quand sueur. Pas de rasage.

Mon unique sortie, en barbe et T-shirt de coton noir avec baskets, m’a conduit à la terrasse d’un café de la place Victor-Hugo. Par test. Confrontation expérimentale avec le dehors des autres, les normaux. Je me suis armé d’un livre de poche. Un Jauffret.

Rapidement, ma lecture a été parasitée par une conversation dans mon dos. Deux hommes au parler commercial à costume ont envahi l’espace mental que je tentais alors de combler par les courts textes de Ce Que C’Est Que L’Amour. Ca causait relations humaines, gestion de l’agressivité du client, astuces de désamorçage… J’ai posé mon livre sur la table pour mieux entendre les propos mal cousus de mes compagnons de terrasse. Parmi les fautes de français et les dictons inopportuns, un flot de sottes théories était déversé. Ca causait techniques de vente alors qu’il n’était question que de prise de pouvoir. J’ai avalé mon café d’un trait et me suis sauvé à l’intérieur de mon appartement sombre et mal rangé.

Dans cet antre, pendant des jours, je n’ai pensé qu’à la fille.

Où est-elle ? Que fait-elle ? Qui est-elle ? Pourquoi ce silence ?

A ce stade, son absence est devenue une torture.

J’ai tenté de la joindre au téléphone des milliers de fois, sans doute. En vain.

Peut-être lui est-il arrivé quelque chose. Genre grave. Genre maladie, accident, mort. Ou pire.

J’ai cru devenir fou, puis le suis devenu. J’ai cessé de me nourrir et n’ai bu que des sortes d’alcool fort. Très fort. Je me suis assommé de cela.

Passait en boucle en mon esprit cette dernière fois. Ce dernier matin avant le bistrot d’en bas. Son silence, déjà ce jour.

Je me suis écroulé un soir. Des heures ou des jours, qui sait ?

A suivre...

jeudi 8 juillet 2010

Chartier (qui continue)


Episode 5

Les autres sont embêtants. Ils jouent au ballon au Luco alors même que tu as décidé de ne pas y jouer pour éviter le bruit qui en résulterait forcément. Ce midi-là, ce lendemain-là, le silence que je me suis préconisé s’est vu anéanti par ces gens qui ont préféré jouer au ballon plutôt que de lire et, par conséquent, qui ont causé le bruit que je m’étais épargné.

Mes capacités mobiles réduites, pour cause de peu de sommeil peu sobre, ne m’ont pas permis de marcher plus avant dans le grand jardin public. Aussi, je me suis contenté de cette chaise en fer, voisine du kiosque à bruit.

Le va-et-vient des promeneurs était suffisamment peu accéléré pour me bercer. Sans doute il allait se transformer bientôt en un mouvement et trop rapide et trop répétitif pour que je m’en tire sans la nausée habituelle. Je n’étais sûr de rien. Ni du temps, ni de moi-même, ni de la suite. L’ombre était plaisante malgré le bruit. Mes paupières baissées sur mes pauvres yeux ont trouvé un subterfuge aux allées et venues obsédantes des promeneurs débiles qui n’allaient pas tarder à me retourner l’estomac : le noir.

Trouver une revendeuse d’Alka-Seltzer, genre pharmacienne, serait ma mission d’après la sieste.

Je n’avais encore jamais concrétisé l’idée de devenir copain avec un arbre. C’est désormais chose faite. Ce jour-là, les arbres sympa du Luxembourg sont devenus mes meilleurs amis. En bande. J’ai dormi une bonne heure sous leur aile, à l’abri du chaud. Ils sont gentils, les arbres.

Un petit peu mieux reposé et largement moins saoul, des cachets salvateurs dans le ventre et d’autres dans la poche en cas de moins bien, je me suis dirigé vers mon lieu de rendez-vous de fin d’après-midi. Une brasserie près de l’Odéon. M’y attendait un auteur en mal de reconnaissance médiatique. Rapidement - même très - je lui ai promis de le « faire connu » et lui ai annoncé le prix de la course. Il y croit, est comblé. Je sors.

Cette fois encore, tout s’est déroulé comme de bien entendu, si ce n’est le regard amusé du serveur italien, qui a semblé ne pas perdre un seul détail de mon exposé huilé, et dont je me suis demandé s’il n’allait pas intervenir et ruiner mon château de cartes, en bon étudiant en rhétorique qu’il était, exerçant le petit boulot de garçon de café pour payer ses cours. Je dois avouer qu’une oreille avertie saurait démasquer mes propos bidons en deux coups les gros. Quoi qu’il en soit, je jeune homme étudiait les maths ou pas. Il m’a laissé conclure sans m’interrompre. Charmante personne.

Plus tard dans cette journée, se sont succédés un dîner avec Jean-Marc - ami de longue date, amateur, lui aussi, de dîners en ville - et une invitation à assister à un concert.

Un mois d’une telle vie qui est la mienne.

Un mois sans rien de la fille.

Un mois de messages laissés après le pléonasme.


A suivre...