mercredi 1 décembre 2010

Actrice - Chapitre 1er


- I -


Un arbre en feuilles. Une gentille bicoque derrière, à droite, au loin. De l'herbe plein. Un chemin. Un cadre de bois mi-rustique mi-moche. Prolongé d'un papier-peint grossier, jauni et vieux. Plus bas, au sol, un lit d'appoint qui, semble-t-il, appointe depuis des décennies. Activité principale, à n'en pas douter. La vision de l'ustensile de couchage m'a découragée dans mon inspection du lieu. Pas la peine de passer la suite en revue. Tout est dit. Une chambre d'hôtel miteuse. André, je parie, ne va pas tarder à me sortir d'ici pour me conduire dans un théâtre tout aussi ringard. Comme hier. Comme demain. Ni plus, ni moins.


Je ne parviens pas à imaginer que cet endroit ait été beau quand neuf. Les propriétaires de l'hôtel s'étaient sûrement endettés pour l'acquérir et le décorer. La dame du couple avait forcément voulu du must de chez Comme À Paris ou quelque nom du genre. Forcément ! Sans cela, à quoi bon les dorures en plastique, à quoi bon les pampilles, même déplumées désormais ? Le papier pour les murs avait dû être commandé chez le marchand le plus cher et reconnu meilleur à l'époque. Cela se faisait. On souhaitait contenter les clients éventuels. Je la sens, cette envie de faire bien. Elle est bel et bien là, mais moche.


André frappe à la porte de ma chambre aux alentours des onze heures. "Faut qu'on aille fissa retrouver l'équipe en bas, m'a-t-il aboyé. Y a Christian qui braille déjà." Mon metteur en scène chéri n'a qu'à venir me le brailler lui-même. Marre, à la fin, de toujours courir. Tout cela pourquoi ? Je vous le demande... Nous répéterons toute la journée. Nous aurons tout juste droit à une pause déjeuner dans une brasserie à peine dicible sur la grand-place du bled. Et nous jouerons, ce soir, devant une salle comble d'abonnés à la retraite qui, j'en donne mes deux mains à couper, ne pigera rien à ce que nous leur jouerons. Ah ça ! ils applaudiront, pas de doute. C'est subventionné par tout ce qui porte un nom commun à majuscule… Vous pensez s'ils applaudiront.


Le bruit de la pluie sur le carreau gris de ciel, aussi vilain que le décor imposé, ne fait que ralentir les mouvements. Pas envie de rester enfermée là. Pas envie non plus d'en sortir. Pas envie de profiter du miroir défraîchi pour entamer un semblant de remise en place des traits de mon pâle visage fatigué du voyage et des avants d'avant. Gris du ciel et lumière blafarde au néon vieux, une addition malencontreuse, hélas ! Pas en/vie.


C'est ainsi, mi-morte, que je me propulse dans l'escalier-moquette de l'hôtel, direction plus bas encore. André m'attend à la réception. Nous rejoignons les autres comédiens sur le trottoir d'en face, grimpons dans le mini-bus de location blanc et vert (moche aussi, mais en plus vif). Le théâtre est à cinq minutes de trajet, à peine. Déchargement de l'équipe au cul de la bâtisse du siècle dernier. Accueil tout sourire des gentilles employées municipales, ravies de recevoir du spectacle parisien en tournée. J'esquisse aussi, histoire de ne pas rebuter trop tôt. Il sera bien assez temps de réclamer une attention plus précise et exclusive.


Alors, nous y sommes. Une loge encore, une salle de répétition, plus tard. Cela commencera dans ladite loge et me poursuivra jusqu'au fond de cet endroit aveugle où nous jouerons cette pièce entre nous avant de l'offrir au public de ce soir. Là encore, cette boule surgira du plus profond de moi, stagnera au-dessus de ma poitrine et gênera mon jeu. Encore aujourd'hui, après tellement d'années pour la découvrir au jour. Tant de temps passé à la roubler pour enfin la trouver telle quelle. L'histoire de moi.


"Un jeu d'actrice en retenue", c'est ce qui a fait mon succès, à mes débuts pourtant hésitants. Je ne retenais pourtant rien. Je ne maîtrisais rien. Tout se jouait sans moi. Je disais, mon corps montrait. Ma voix bloquait ainsi tout un tas d'émotions que moi-même je ne voyais, ni ne soupçonnais. J'ai ainsi expérimenté un démarrage brillant dans un métier que je ne comprenais pas vraiment. Et pour cause ! Les prémices de ma propre vie m'ont échappé. Des années, il m'a fallu, pour commencer à comprendre à peine ce qui me vaut mon être-ainsi. Ma vie et moi.


Une jeune employée du théâtre m'apporte le café commandé et m'annonce que je suis attendue en salle de répétition. Je suis attendue. J'ai organisé ma vie pour enfin être attendue. Nous y voilà ! Faute d'être désirée, je me fais attendre. Ma vie professionnelle a pris la place vacante à l'intérieur et tout autour.

À suivre...

2 commentaires:

  1. Belle plume Duchesse !
    De l'humour pardessus le désabusé, bravo.
    hum y'aurait pas du vécu là-dedans ?

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  2. Merci Laure !

    Il y a de tout, là-dedans... Il faut trier.

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