mercredi 29 décembre 2010

Actrice - Chapitre V


Photo par Artefact (http://www.facebook.com/Artefact.Photography)

- V -


Le bar du B. n'a pas changé. Son haut plafond, ses colonnes couleur bar, ses photographies exposées, ses fauteuils en cuir perdus sous l'espace, ses serveuses mal apprises... Un chocolat chaud entre amies. Rien de tel pour célébrer mon retour à Paris et sa routine citadine que j'aime tellement. Des mois que je joue de ville en ville, dans une province toujours plus profonde et qui m'angoisse.

Je suis à Paris depuis quatre jours et savoure les espaces restreints remplis de la pierre et du verre, de la lumière factice que l'on fabrique pour vaincre le noir de la nuit. La pluie, même, tombe dans un bruit qu'elle crée en choeur avec la rue bleutée qui miroite. C'est la civilisation qui chante. Elle est partout autour et je ne vois plus qu'elle que j'aime. Les jardins eux-mêmes sont dressés de main de maître. Je longe maintenant celui que l'on appelle Luxembourg, sous les étoiles et dans les lumières parfaites des feux filants des automobiles. Je me dirige avec hâte et envie vers le théâtre de l'Odéon où, ce soir, on joue un Ibsen qui déchire. Je me délecte par avance et presse le pas, histoire de pouvoir prendre le temps d'un verre à bulles au bar, en haut, avant la foule. Je chéris cette autorisation tacite que nous avons, nous les femmes, de garder la tête couverte en intérieur. Mon chapeau me camoufle suffisamment pour ne pas attirer ceux qui reconnaissent et souhaitent, à tout prix, le faire savoir. Comme planquée, je profite du moment d'avant la claque.

Installée à ma place, enfin, je découvre la scénographie qui, je le sais, ne me dévoile pas encore tout à fait ses prochains épatants secrets. Jamais je ne manque les spectacles de ce metteur en scène brillant quand, par chance, on les joue en France. Je ne peux imaginer, d'ailleurs, que ses acteurs soient trimballés en des villes petites, moyennes ou moches. Eux, c'est sûr, ne connaissent que les capitales culturelles et les théâtres magnifiques. Pas de mains élues à serrer, des nommées uniquement. Du ministre ! Sans parler des hôtels ensuite...

La pièce est merveilleuse ; le jeu des comédiens, un délice. Comment ne pas porter aux nues un tel texte, servi par une mise en scène qui dévaste ?

Enhardie par la séance, je sors du prestigieux théâtre et me hâte vers mon lieu de rendez-vous. Je retrouve des amis d'un siècle au café de nos jeunes années. Le quartier latin a changé. Nous aussi. Nos habitudes sont restées. Nous prenons plaisir à nous retrouver le soir. Nous cajolons ces instants ensemble, isolés au milieu de nos vies remplies et disparates. Où nous sommes-nous rencontrés ? Comment nous sommes-nous reconnus ? L'histoire ne le dit plus. Trop lointaine, en somme. Seule certitude à nos errances, un rassemblement chronique nous rassure et n'en finit pas de nous lier d'une amitié ténue.

Assise à table, entre Mathilde et Robin, je déverse sans m'arrêter cette histoire invraisemblable d'un homme croisé deux fois en deux jours, ailleurs. Je répète et revis ce rien du tout que moi seule mesure à sa juste puissance, avant de décréter d'un coup que ce n'est vraiment rien du tout. Mathilde nous rappelle cette aventure d'un mois, quelques années avant. Je m'y étais, c'est vrai, lancée entière et sincère. Pour rien au bout. Piquée, je demande au garçon, une autre bouteille et me sers, me sers, me sers.

Ivre d'alcool, d'art et de retrouvailles, je rentre enfin. Le taxi me dépose devant chez moi. J'atteins mon lit et ne sais plus rien jusque demain. Le réveil est douloureux. Je pleure de la veille et d'avant la veille. Un avant proche. Un avant un petit peu plus lointain, aussi. Ma vie.

Par chance ou manigance, je pars ce soir. Je rejoins mon travail en cours. On m'attend à Clermont-Ferrand. Je joue demain. Par chance ou manigance, mon métier/ma vie me sauve.


A suivre...

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