mardi 21 décembre 2010

Actrice - Chapitre IV




- IV -


Paul n'a pas assisté à la représentation, hier soir. Je ne l'ai su qu'après plusieurs brassées dans le long et le large de ce bar grotesque, après le spectacle de ma vie. J'ai doucement cherché d'abord, puis, enfin, j'ai suffoqué de pas d'air assez. Cette autre et nouvelle absence a vidé l'endroit de son oxygène et j'ai presque coulé.

A-t-il vu la pièce ? Est-il parti dès le rideau ? S'est-il sauvé avant la fin ?...

Entre les murs jaunis de ma chambre d'hôtel, je ressasse, invente et souffre. Quel est cet homme qui m'emmène ainsi hors du temps et de moi-même ? De lui, je ne connais rien qui ne permette. De lui, je ne sais que le prénom et un lien des miens. André ! Lui seul sera mon aide.

Je descends quatre à quatre et rejoins in extremis les gens de ma troupe en partance vers déjeuner ailleurs. André mène le monde, discutant avec Christian, le metteur en scène sans qui je n'aurais pas expérimenté ce jeu d'hier, car, sans lui, je serais bien loin de cette ville en laquelle se trouve, c'est sûr, Paul.

Passée la porte du restaurant, je presse le pas et joue des coudes pour m'approcher d'André, être assurée d'être installée à ses côtés, autour de notre table réservée. Je dois en savoir plus sur Paul. Il doit tout me dévoiler de son ami. Je veux savoir sa vie d'hier après disparition.

C'est en face du régisseur que je parviens, fort peu discrètement, à prendre place. L'enquête est en marche. Fine et subtile, je laisse les conversations aller leur train. Par touches, je m'y mêle, l'air de trois fois rien. Ni André, ni personne ici ne se doute du dessein qui m'anime en-dedans.

Bouche-bée je reste lorsque se présentent les opportunités de demander après l'homme. Peur de quoi ? D'en trop laisser entendre ? D'en trop quémander ? Je passe la majeure partie du repas à observer l'endroit début de siècle reconstitué. Mes interrogations de la veille ne prennent pas la voie de ma bouche et s'incrustent en mon front. Paul demeurera mystère tout entier.

Je me trouve tellement si ridiculement idiote. Quelle idée de se monopoliser les idées sur un inconnu ? Suis-je à ce point perdue ?

Une mise au point rapide me sort de ce faux pas honteux et je reprends, indemne, le cours des choses. Je remonte le mécanisme de ma vie et réenclenche le pas. Notre tournée de province s'achève dans quelques semaines. J'y fonce tête baissée, yeux grand ouverts. Longue dernière ligne droite qui me transbahutera de théâtres en chambres d'hôtel estampillés “pas beaux”, et qui me propulsera au coeur de conversations creuses et trop fortes à la fois. Je suis une actrice et je joue. Toujours je joue.



À suivre...

1 commentaire:

  1. "Un seul être vous manque et..."
    Ce lieu commun semble être vrai aussi pour notre actrice, habituée pourtant des salles combles et du succès. Mais elle continuera à jouer...
    Belle plume à suivre...

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